L'Itineraire | Claude Vivier – Gérard Grisey
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07 Jan Claude Vivier – Gérard Grisey

Entretien avec Gérard Grisey, le 3 mai 1997 au CNSMDP

Propos recueillis par Yassen Vodenitcharov

 

La première fois que j’ai rencontré Vivier, c’était en 1972 à Darmstadt, où j’avais fait un stage, et il était là avec un groupe de compositeurs canadiens. Ensuite, je le croisais de temps à autres à Paris, quand il venait, et je l’ai revu en 1978 à Montréal. Mais je l’ai connu davantage quand il s’est installé définitivement à Paris. C’était un homme intelligent, et son discours était beau, inattendu sans être intellectuel. C’était le discours de la tristesse de quelqu’un qui aime énormément la vie, et qui demande de la tendresse aux autres, sans le montrer, en se cachant derrière une provocation continuelle, toutefois sans agressivité.

J’ai appris sa mort quand j’étais aux Etats-Unis, et je fus très choqué, parce que je me souvenais avoir dit quelques mois avant à Tristan Murail : ‘Je crains qu’à cause de son caractère très provocateur et de ses fréquentations, Vivier ne risque un jour de se faire assassiner quelque part […] et ça serait triste […] il vient de parvenir à un style si original’…

Après la nouvelle de sa mort, j’ai composé une pièce intitulée Anubis – c’est le nom du dieu égyptien qui emmène les âmes des morts – et unedeuxième pièce Nout – c’est la déesse égyptienne représentant la voûtedu ciel. Elle est sculptée à l’intérieur des sarcophages, sous le couvercleet recouvre les morts de son corps[1].

Pour moi, Vivier est un compositeur-vagabond, ce qui est plus fréquent chez les peintres, mais plutôt rare chez les compositeurs, qui préfèrent avoir leur appartement, avec un piano, etc. C’est un marginal, mais un marginal qui connaît très bien l’écriture classique, non pas un marginal autodidacte. Et en même temps c’est un grand lyrique. A mon avis, il y a chez lui un côté schubertien, il est doué d’un véritable sens vocal et mélodique.

Je le situe entre la musique de Messiaen, qu’il connaissait par Gilles Tremblay, la musique de Stockhausen, et la musique spectrale. Il me disait souvent, avec son accent québécois : ‘Moi aussi j’utilise des spectres dans ma musique, mais je les tords un peu !’

D’autre part, grâce à la naïveté de son écriture, qui dans son cas est d’une simplicité authentique (ce n’est pas une musique rétro), il peut être considéré comme un compositeur vraiment américain. Il me disait avec un grand enthousiasme, après son voyage à Bali : ‘Tu sais, j’ai découvert que l’on peut encore faire de la musique contemporaine uniquement avec des doubles croches’.

Il s’intéressait beaucoup aux cultures et aux musiques traditionnelles et adorait le cinéma. Pasolini, entre autres, le fascinait et comme par une ironie du sort la mort les a rapprochés. La verticalité et le dépouillement de sa musique me fait penser aussi à la musique byzantine. C’est une musique d’une grande qualité harmonique, à la fois primitive et sensuelle, hiératique dans son expressivité. Il me disait qu’il détestait le contrepoint, et cela explique en grande partie pourquoi sa musique était moins appréciée en Allemagne qu’en France et au Canada, parce que bien qu’il ait été élève de Stockhausen, il n’était ni sériel, ni post-sériel. Je crois qu’il a travaillé sur la pièce de Stockhausen Inori (car ce dernier travaillait souvent en équipe avec ses élèves) et Vivier a été très marqué par cette œuvre.

Stockhausen respectait le côté mystique de Vivier, et c’est ce qui les rapprochait le plus l’un de l’autre.

Pour nous tous qui l’avons aimé et apprécié, Claude Vivier est mort trop tôt, mais en si peu d’années il a eu le temps de trouver sa voie et son originalité.

Gérard Grisey

 

 


[1] Anubis (1983) et Nout (1990), cycle de deux pièces pour saxophone basse (ou baryton).

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